Arthur a 5 ans. Il est donc à un âge où il n’a pas terminé la construction de son identité sexuée. Il reste convaincu que ce sont les indices socioculturels qui font le sexe. Et est attentif à respecter les codes de son propre sexe et à éviter tout ce qui a une connotation sexuée du sexe opposé, pour qu’on l’identifie comme un individu de son propre sexe. Comme il s’est construit un bon réseau de connaissances autour du masculin et du féminin, il a intégré que les fleurs brodées étaient pour les filles.
En fonction du stade de construction de l’identité sexuée auquel Arthur se trouve, mettre cette combinaison de ski avec une fleur brodée aura, selon lui, pour effet soit de le transformer en fille, soit de montrer aux autres qu’il est une fille. Or, moralement, pour un enfant de cet âge, se présenter comme quelqu’un que l’on n’est pas est aussi inacceptable que de mentir ou de voler un bonbon. C’est pour ça qu’Arthur refuse de porter cette combinaison de ski, parce que cela reviendrait à tricher sur son sexe, à faire croire aux autres qu’il est une fille.
Après ce stade de rigidité face aux codes sexués, vient une période de flexibilité. Vers 6-7 ans, lorsqu’ils ont intériorisé que le sexe dépend de l’appareil génital, les enfants ont une attitude nettement moins rigide vis-à-vis des codes sociaux sexués. Cela ne signifie pas qu’à 7 ans, tous les jeunes se précipitent sur les sports du sexe opposé, mais qu’ils deviennent beaucoup plus tolérants sur le fait que des personnes peuvent avoir envie de faire des choses étiquetées du sexe opposé.
Ainsi, cette période de flexibilité, entre 7 et 12 ans, est le meilleur moment pour faire découvrir aux enfants des activités ludiques ou sportives qui sont exercées en majorité par le sexe opposé et y sont. Ne craignant plus de changer de sexe en s’y adonnant, ils vont les pratiquer sans a priori. Et, du coup, avoir l’opportunité de développer de nouvelles compétences.
Cette phase de flexibilité est également l’occasion de discuter avec les enfants de la notion de genre, en classe ou à la maison. On peut ainsi expliquer aux enfants comment se construit l’identité sexuée, et notamment leur remettre en mémoire la phase de rigidité qu’ils viennent tout juste de traverser. Ils se rappellent comment ils agissaient quelques années plus tôt – et, parfois, l’exemple de leurs petits frères, sœurs ou cousins illustre de manière explicite cette étape caractéristique du développement.
On peut imaginer toute sorte d’ateliers avec les enfants pour discuter du genre avec eux. Par exemple, si on leur présente des catalogues d’ameublement, ils sont capables d’indiquer quels seraient les meubles qui plairaient davantage à une fille ou à un garçon de 4 ans. Ils sont aussi en mesure de relever par eux-mêmes que ces meubles-là ne plairont plus à ces mêmes enfants quelques années plus tard – et que la différenciation à l’extrême du mobilier suivant le sexe est une stratégie utilisée par les enseignes commerciales pour vendre davantage.
D’autres ateliers sont possibles avec des catalogues de jouets ou en visionnant des publicités télévisées ciblant les enfants. On peut demander aux élèves de jouer aux détectives et de regarder quels jeux sont proposés aux filles, et quels jouets sont destinés aux garçons. Rapidement, des voix vont s’élever dans la classe: «C’est pas juste, pourquoi les filles ne pourraient pas faire des constructions en Lego?» et «La cuisine, c’est aussi pour les garçons: la preuve, les grands chefs de restaurant sont des hommes!» Instaurer une discussion en classe devient alors facile. Et ces remarques enfantines peuvent aussi être une opportunité pour insister sur la façon dont l’assignation de certaines tâches à un sexe s’est construite dans le temps et continue d’évoluer suivant les époques et les cultures.
Apprendre aux filles et aux garçons que les frontières entre les activités et les compétences des deux sexes ne sont pas étanches a son importance. Bien sûr, ce n’est pas à cet âge que les enfants vont faire le choix de leur future profession. Mais leur ouvrir les possibles du genre, notamment par le biais de contre-modèles, et préciser que la technique et les sciences ne sont pas un fief masculin tout comme les émotions et la verbalisation ne sont pas un royaume féminin leur permettra de ne pas se fermer trop de portes lorsqu’il leur faudra se pencher sur leur orientation scolaire… et professionnelle.
Car avec la puberté va démarrer une nouvelle phase de rigidité de l’identité sexuée. À l’adolescence, les jeunes deviennent plus conformistes et respectueux des codes sexués. Ce n’est donc que si l’on a discuté auparavant avec eux de ce que filles et garçons peuvent faire, tant en termes d’activités sportives ou de professions, qu’ils auront conscience des stéréotypes attachés aux deux sexes et pourront plus facilement s’en détacher sans perdre confiance en eux ni remettre en cause leur identité.
C’est seulement en ouvrant les yeux des enfants pendant ce moment de flexibilité que l’on peut éviter que les notes des jeunes filles en mathématiques et autres disciplines scientifiques chutent, en même temps que leur confiance en elles, que les adolescents se sentent mal dans leur corps qui se transforme mais ne soient pas en mesure de l’exprimer ou qu’ils s’estiment obligés de dévaloriser par des remarques sexistes leurs camarades de sexe féminin pour se sentir (devenir) hommes. Plutôt que de laisser se cristalliser les discordances entre les deux sexes, aborder les préjugés qui entourent le genre apaisera les relations entre les filles et les garçons.