Cette attitude n’est pas étonnante, surtout parce que Mathilde est une fille, mais aussi parce que, cette mauvaise note, elle l’a eue dans une matière scientifique. En effet, en premier lieu, les enfants attribuent leurs échecs et leurs réussites de manière différente suivant leur sexe.

Lorsqu’une fille rate quelque chose, elle interprètera son échec comme venant d’elle (cause interne) : elle se dit qu’elle a fait ce qu’elle a pu et que le fait qu’elle n'a pas réussi à avoir la moyenne est la preuve qu’elle n’est pas douée. En revanche, lorsqu’elle a une bonne note, elle ne va pas penser que c’est grâce à elle et que ce résultat est la preuve vivante de ses compétences; elle expliquera plutôt son succès par la facilité de l’épreuve ou de l’exercice (cause externe).

Le phénomène est tout à fait inverse chez les garçons. Ils attribueront leur réussite à leur intelligence et leur habilité (cause interne) et leurs échecs à des causes externes – l’épreuve était trop difficile; le professeur ne peut pas le supporter; ce n’est pas qu’il est bête, c’est juste qu’il ne travaille pas assez…

Ces différences d’attribution de l’échec et de la réussite qui varient selon le sexe ont été mises en évidence par de nombreuses recherches. Leur origine peut se trouver en partie dans la manière dont les adultes expliquent aux enfants d’où viennent leurs réussites et relativisent ou non leurs échecs. Ainsi, suivant qu’ils s’adressent à une fille ou à un garçon, les enseignants changent de discours. Inconsciemment, ils se disent que les filles sont meilleures dans les disciplines littéraires tandis que les garçons brillent davantage en mathématiques et renforcent leurs critiques en conséquence. Dans le cas de Mathilde, avoir eu une mauvaise note en bio la renvoie à l’idée reçue que les filles ne sont pas douées dans les matières scientifiques. Pas étonnant alors qu’elle perçoive cette mauvaise note comme une preuve de sa «nullité» en biologie puisqu’elle n’est pas censée, en tant que représentante du sexe féminin, avoir des facilités dans cette matière.

Autre tentative d’explication, qui s’applique cette fois à toutes les matières, qu’elles soient scientifiques ou littéraires: les adultes pensent que, si une fille réussit en classe, c’est parce qu’elle travaille, fait bien ses devoirs, révise ses leçons… tandis que, lorsqu’elle rate, c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas les facultés intellectuelles requises. En revanche, les garçons sont perçus comme des «sous-réalisateurs». C’est-à-dire que leurs échecs scolaires sont appréhendés comme venant d’un manque de travail et de rigueur ou d’un refus de se plier aux normes scolaires. Supposés avoir des compétences naturelles mais ne pas travailler suffisamment, les garçons seront donc davantage blâmés pour leur absence d’efforts alors que c’est la faiblesse du raisonnement, le manque de mémoire ou de logique des filles qui seront pointés du doigt.

Certes, puisque les filles sont, en moyenne, meilleures à l’école, les garçons vont recevoir davantage de critiques de la part de leurs professeurs. Mais ces critiques nombreuses ne sont pas que négatives: les élèves de sexe masculin reçoivent davantage de remarques positives que leurs camarades féminins. La fréquence des critiques adressées aux garçons va en réduire l’impact. Alors que les filles, qui reçoivent moins de feedback, vont prendre toute mauvaise note ou critique comme une remise en cause de leurs capacités intellectuelles. Et ce d’autant que ce «deux poids deux mesures» dans l’évaluation que les enseignants font de leurs élèves suivant leur sexe va être progressivement intériorisé par les enfants.

Cette attribution de l’échec à des causes internes ou externes se cristallisera à l’adolescence, période de rigidité par rapport aux codes sexués, pendant laquelle filles et garçons, dont la transformation du corps rend plus saillante la perception d’appartenir à un sexe, se conformeront à ce que l’on attend d’eux et aux étiquettes sexuées: garçons doués mais peu diligents, filles besogneuses, scolaires mais moins brillantes, surtout dans les matières scientifiques. Ceci a un impact considérable sur leur estime d’eux-mêmes: si la jeune adolescente pense avoir raté pour une cause interne, cela sous-entend qu’elle est nulle et son estime de soi ne peut qu’en être affectée; en revanche, le jeune adolescent qui estime avoir échoué pour une raison externe ne verra pas son estime de soi être impactée. Ainsi, à résultats scolaires comparables, les adolescentes ont moins confiance en elles et en leurs compétences que leurs camarades de sexe masculin.

Comment alors recevoir une mauvaise note sans que l’estime de soi soit mise à mal? Il faut que l’enfant observe ses résultats scolaires suivant deux autres dimensions: est-il contrôlable, c’est-à-dire dépend-il des efforts fournis (travail, révision), du fait de se coucher plus tôt le jour précédant le contrôle, etc.? Est-il stable ou instable, c’est-à-dire y a-t-il un lien de cause à effet entre le travail fourni et la note? Puisque Mathilde pense que son mauvais résultat en biologie est signe de son incapacité dans ce domaine, il faut lui faire observer la situation différemment, lui rappeler qu’elle n’a pas toujours eu des mauvaises notes dans cette matière et que, si la situation n’est pas stable, mais elle n’en reste pas moins contrôlable. Elle n’a pas eu une bonne note cette fois-ci, mais si elle produit des efforts constants et écoute en classe, elle se verra récompensée la prochaine fois. Il faut à tout prix qu’elle cesse de se dire qu’elle est intrinsèquement nulle et qu’elle arrête d’imaginer que c’est parce qu’elle est une fille qu’elle ne réussit pas dans les matières scientifiques. C’est à force d’encouragements et en suivant une sorte de méthode Coué que l’on pourra rétablir son estime d’elle-même et lui faire changer son regard sur son bulletin de notes.