C’est vrai qu’il est difficile, voire impossible, de faire jouer un enfant avec un objet décoré avec les codes du sexe opposé, surtout lorsque la construction de son identité sexuée n’est pas encore terminée. L’idée n’est pas d’inciter à tout prix son enfant à avoir des jeux étiquetés du sexe opposé, mais à lui en offrir la possibilité. Car ce n’est pas qu’une question d’apparence: les rôles proposés et les aptitudes et compétences qui seront développées en jouant avec ces jouets seront différents.
Or il est de plus en plus difficile de trouver des jouets neutres: dans les magasins, les univers garçons et filles restent cloisonnés et les jeux sont sursexués. Résultat: à un âge où, pour l’enfant, ce sont la couleur du jouet et ses décorations qui déterminent le sexe de celui qui joue avec, il n’est pas évident de permettre à l’enfant de jouer avec des jouets variés et de pouvoir ainsi développer des compétences multiples.
S’il n’y a pas de solution miracle pour élargir le champ des possibles de nos enfants, il existe toutefois des stratégies individuelles pour passer outre ce matraquage marketing.
Choisir des objets non sexués
Tout d’abord, on peut essayer de piocher dans les objets non sexués en termes de décoration. Il existe par exemple des trotteurs en bois qui ne limitent pas le jouet à un seul sexe et sont adaptés pour les filles comme pour les garçons.
Il faut avouer que ce jouet sera plus onéreux que le trotteur en plastique bleu ou rose. Et il demandera aussi un investissement en temps, puisqu’il sera plus difficile à trouver. Néanmoins, si on a des enfants des deux sexes, cet objet neutre pourra passer de l’un à l’autre et l’on obtiendra ainsi une sorte de retour sur investissement.
Car, à la différence d’un trotteur bleu, la petite fille qui l’utilise ne se dira pas que, si elle joue avec, elle deviendra un petit garçon. Elle ne l’identifiera pas comme appartenant au sexe opposé: comme manger ou marcher, jouer avec ce trotteur en bois est une activité pouvant être pratiquée par les filles comme par les garçons. Et si, en raison de ce marketing sexué invasif, elle préfèrera un jouet rose à paillettes, il est toujours possible de ne pas céder à son caprice.
Jouer des codes sexués
On peut aussi choisir pour son enfant des jouets étiquetés du sexe opposé, mais décorés avec les codes couleurs de son sexe. Plutôt que de proposer à son fils une cuisinière violette et rose avec des casseroles en forme de cœur, il s’agit là de se tourner vers des couleurs plus neutres, ou de s’amuser à customiser la cuisinière, à la peindre ou à lui apposer des stickers. Parfois, pas besoin de décorer. Une enseigne a ainsi développé toute une gamme de jouets imitant les activités des adultes, de la cuisinière à l’établi de bricolage, avec une palette de couleurs qui n’est ni clairement associée aux filles à l’exclusion des garçons, ni l’inverse. Et, ce sont deux petits personnages, un garçon et une fille, qui présentent le jouet scénarisé dans le catalogue.
Autre exemple: Geomag, jeu de construction originellement réservé aux garçons, propose dorénavant une gamme pour filles, aux couleurs roses. Malgré ses couleurs stéréotypées et sexuées, ce jeu permet aux enfants de créer un objet en trois dimensions sans modèle prédéfini (à l’inverse des Lego, où les vaisseaux spatiaux s’opposent au salon de coiffure, aucune tâche considérée comme masculine ou féminine n’est prescrite). Or, à un âge où la plasticité du cerveau est importante, permettre aux petites filles de développer des capacités techniques et spatiales, même en rose, est essentiel.
Il en va de même si on parvient à trouver un baigneur avec un zizi et le landau bleu qui va avec. Bien sûr, cela revient à céder au marketing, puisqu’il faudra racheter une poupée avec une robe à dentelle et la poussette aux motifs à cœur qui va avec pour la petite sœur. Mais c’est un moindre mal: au moins, le petit garçon pourra jouer avec le poupon, imitera les éléments de son quotidien et l’effet en sera cathartique. Autre possibilité: recourir aux services des ludothèques pour éviter la surconsommation.
Montrer d'autres modèles
Et si votre garçon refuse de jouer avec le poupon en plastique parce qu’il a assimilé que c’était un truc de filles, il ne faut alors pas hésiter à lui montrer d’autres modèles, qu’il s’agisse d’enfants des deux sexes dans des catalogues jouant avec une poupée ou d’un homme de son univers familial en train de donner le biberon. On peut garder en réserve les catalogues de jouets de Noël de certaines enseignes, où les garçons sont montrés en train de jouer à la poupée et les filles avec des voitures téléguidées, et les ressortir pour lutter contre les stéréotypes que nos enfants ont déjà digérés.
Proposer des modèles contre-stéréotypés peut aussi se faire à travers la littérature enfantine. Il existe des livres où les garçons sont aussi sensibles et émotifs et où les filles ne sont pas toutes des princesses naïves et nunuches. Et pour les enfants que la lecture n’attire pas, certains ouvrages ont inspiré des dessins animés, comme celui mettant en scène Olivia.
Discuter avec son enfant
On peut plus simplement prendre son mal en patience… et attendre que l’enfant ait terminé la construction de son identité sexuée. À partir de 7 ans, il ne pensera plus que ce sont les indices extérieurs qui font le sexe. On pourra alors discuter avec lui et lui expliquer que, si les magasins et les catalogues utilisent différents codes couleur, c’est pour vendre plus!
Les enfants sont bien plus attentifs aux détails qu’on ne le pense, du moment qu’on leur explique ce qu’il faut regarder. On peut par exemple leur présenter un catalogue de jouets et leur demander de jouer au détective, de le regarder à la loupe et de compter combien de filles sont représentées, combien de garçons, ce qu’ils font, de comparer leurs activités entre elles ainsi qu’avec celles des adultes, hommes et femmes, de leur entourage. Ensuite, ce seront eux qui vous feront remarquer qu’il y a une phrase sexiste sur l’emballage de yaourts.
Militer
Pour les parents militants, il faut savoir qu’à l’heure d’internet, il est possible de réagir à ce que les boutiques mettent en ligne. Des enseignes ont plié face à la réaction d’internautes souhaitant le retrait de jouets sexistes.
Et, pendant la période de Noël, des associations comme Mix-Cité organisent des actions, distribuent des tracts pour faire prendre conscience des représentations différentes qui sont véhiculées à travers les catalogues de jouets.
Cependant, il faut être lucide: même sans aller jusqu’au militantisme, cette prise de conscience se produit majoritairement dans les catégories sociales les plus élevées, souvent plus informées et attachées à l’égalité homme-femme, tandis que les CSP les moins favorisées ont un partage des rôles plus traditionnel. Tentons de voir la situation positivement: les CSP+ ont davantage accès aux postes à haute responsabilité et peuvent faire avancer ce combat égalitariste. En attendant ces changements politiques, ceux qui le souhaitent peuvent déjà entreprendre, à leur niveau, de mettre en place ces petites stratégies avec leurs enfants.