Ces publicités du mercredi, samedi et dimanche matin ou qui sont diffusées pendant les vacances scolaires sont intercalées entre les programmes destinés aux enfants et présentent logiquement des produits qui les ciblent. Qu’il s’agisse de nourriture (corn-flakes ou barres chocolatées), de couches-culottes ou de jouets, les espaces publicitaires entre deux dessins animés ont les enfants en ligne de mire. Or ces jouets vont cibler soit un sexe soit l’autre mais rarement les deux en même temps.
À part pour les jeux de société, qui mettent en scène des enfants des deux sexes dans le cadre familial, en train de jouer avec leurs parents, les contenus des publicités sont très sexués, à l’instar des magasins de jouets. Aux filles les poupons, les Barbie, les activités créatives ou esthétiques; aux garçons les figurines comme Action Man, les Lego, les déguisements de pompier ou de médecin…
Mais les produits destinés à la vente ne sont pas les seuls signes qui permettent à l’enfant de savoir quel sexe est concerné par la publicité. Bien d’autres indices viennent rappeler à l’enfant ce qui est féminin et ce qui est masculin.
Les sons
Les sons font partie de ces indices: côté filles, les publicitaires ont opté pour des musiques douces voire gnangnan et des voix de filles, tandis que côté garçons la musique est plus rythmée, il s’agit plus d’un enchaînement de sons que d’une mélodie et ce sont des voix d’hommes que l’on entend.
Les acteurs
Les acteurs ne sont pas les mêmes suivant que les publicités s’adressent à un public féminin ou masculin: Les apparitions du sexe opposé dans les publicités sont rares; généralement, on retrouve des filles dans les pubs pour filles et des garçons dans les pubs pour garçons. Les comportements et postures des acteurs sont aussi révélateurs, puisque l’on verra les filles jouer entre elles, être souriantes et éclater de rire, alors que les garçons, visages fermés voire fâchés, vont jouer l’un contre l’autre, combattre par figurines ou voitures télécommandées interposées. La coopération est étiquetée comme féminine et la compétition comme masculine.
Le montage
Le montage de ces publicités varie également suivant le sexe des enfants auxquels elles sont destinées. Les plans se succèdent plus vite, sont plus variés du côté des garçons. Cet aspect saccadé, accentué par les travellings cadencés de la caméra, confère une impression d’action qui confine parfois à l’agressivité. En revanche, pour les filles, les plans sont souvent plus longs et rapprochés et les mouvements de la caméra plus circulaires et fluides, ce qui n’est pas sans rappeler l’activité maternante de la petite fille qui berce son poupon.
Les paysages
Les paysages rappellent aussi le hiatus intérieur-extérieur, sous-jacent à l’opposition filles-garçons: les filles jouent dans leur chambre à coucher, les garçons dans le salon, pièce commune, ou à l’extérieur. Quant aux paysages inventés et recréés à l’aide de logiciels, ils sont féériques, enchantés, très roses pour les filles et y apparaissent des cœurs ou des étoiles brillantes à outrance, tandis que les garçons jouent dans un univers plus hostile (jungle, désert, paysages arctiques…) et semblent en lutte contre une nature peu accueillante.
Le vocabulaire
Quant au vocabulaire utilisé par les acteurs ou la voix off, il est aussi ultra stéréotypé. Les filles ont souvent droit aux mots super, super glam, super fun, trop belle, trop mignon et wow, qui rappellent souvent un univers féérique ou bien le monde de la mode, du design, de la coiffure ou du maquillage. Le champ lexical utilisé renvoie à la magie ou à la superficialité, et ce d’autant plus lorsque que les activités qui leur sont proposées se limitent à customiser leurs jouets avec des autocollants. La thématique de l’aide et de l’amour/affectivité est aussi abordée par le biais des injonctions qui leur sont faites: Aide Barbie à…, Fais un bisou à bébé, Occupe-toi du chiot, etc. Le modèle adulte qui leur est fourni est celui de la parfaite petite maman qui berce son bébé. Sémantiquement, les filles ont le choix d’être belles ou de jouer à la maman!
En revanche, du côté des garçons, c’est le champ lexical de la menace et de la guerre qui prévaut (avec l’utilisation de termes comme ennemis, guerriers, combattants, attaquants, armes, héros, invincibles, indestructibles…), mais aussi celui de la destruction (toupie dévastatrice, redoutable, maximum de puissance, faire un maximum de dégâts…). L’action est également très présente à travers les injonctions: À toi de conduire, Sauras-tu maîtriser, etc. Et ce d’autant que l’idée de transformation ne cesse d’apparaître: la voiture de course peut se transformer en aéroglisseur, en avion de chasse… Mais cette transformation reste souhaitée et maîtrisée. Ainsi, les modèles adultes qui lui sont présentés sont toujours ceux d’hommes qui ont le contrôle de la situation: la voix off de la publicité dira au petit garçon qu’il peut conduire son automobile miniature comme son papa qui est au volant de la vraie voiture.
Reproduction et identification
Les jeunes enfants qui regardent des dessins animés à la télévision vont absorber les représentations sexuées qui sont véhiculées par les publicités. Puisqu’à cet âge ils sont convaincus que ce sont les activités qui font le sexe, ils vont reproduire ce qu’ils ont identifié comme étant spécifique à leur propre sexe. Il n’est donc pas étonnant qu’à l’école les petits garçons soient agités et dérangent tout sur leur passage comme une tornade tandis que les petites filles vont spontanément ranger le désordre.
Étrangement, alors que ces publicités, qui sont un concentré de stéréotypes, par le vocabulaire, les sons et les images utilisés, influencent les représentations qu’ont les enfants des différences entre masculin et féminin, elles ne sont encadrées par aucune réglementation en Europe, à l’exception de la Suède. Elles interrompent en revanche très fréquemment les programmes matinaux destinés aux enfants.
Les publicités pour enfants ne sont pas les seules à camper des personnages stéréotypés. Les pubs qui vantent les mérites de produits de consommation que tout un chacun pourrait vouloir acheter ne réservent pas les mêmes rôles aux acteurs filles et garçons: les filles sont confinées à l’intérieur, elles exécutent souvent des activités qui touchent à l’univers dit féminin, c’est-à-dire qu’elles peuvent aider à préparer à manger, tandis que les garçons sont davantage présentés à l’extérieur et affichent un haut niveau d’activités.
Que faire?
Que faire face à ce déferlement télévisé de clichés? Interdire la télévision à son enfant ne semble pas la solution optimale, ne serait-ce que parce que cela crée de la frustration et donnera encore davantage de force et d’impact aux publicités lorsque l’enfant y aura accès de manière détournée, par le biais d’internet ou chez les copains et copines. Il est toutefois possible, en tant que parent, de faire en sorte que l’influence de ces pubs soit réduite.
Les adultes peuvent ainsi proposer à leurs enfants d’autres modèles que celui de la petite fille qui joue à maquiller une tête à coiffer et du garçon qui s’amuse avec un pistolet laser, par le biais d’albums illustrés ou de dessins animés où filles et garçons ne tiennent pas un rôle stéréotypé. En effet, lorsqu’ils sont jeunes, les enfants vont inconsciemment associer à leur sexe et au sexe opposé les représentations majoritaires, celles qui sont quantitativement le plus évoquées, que ce soit à la télé ou dans les catalogues de jouet. Leur ouvrir les modèles du genre, porter à leur connaissance des «contre-modèles», en leur faisant par exemple visionner les dessins animés Mulan ou Rebelle, ou les films Billy Eliot ou Tomboy pour les plus grands, est une façon d’abattre les normes stéréotypées et de leur permettre d’associer leur propre sexe à un large éventail d’activités.
Autre possibilité: se servir d’histoires qui problématisent la question du genre. La petite histoire Max embête les filles fait partie de ces ouvrages qui, parce qu’ils questionnent la question de l’égalité entre filles et garçons, permettent d’ouvrir la discussion sur les étiquettes sexuées. Et bien d’autres titres sont disponibles sur le marché: Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi? Quatre poules et un coq ou encore Marre du rose.
Il est également envisageable d’avoir avec son enfant, lorsqu’il a 5-6 ans, une conversation sur ces publicités. On peut le faire jouer au détective, lui demander de décortiquer les représentations du féminin et du masculin que ces publicités transmettent, ce que les couleurs, les voix, les sons évoquent pour lui. Mieux vaut décrypter ces stéréotypes avec lui plutôt que les ignorer en pensant qu’éteindre le petit écran à l’heure des publicités lui évitera d’y être confronté. Donner aux enfants des instruments pour décoder les images marketing dont ils sont la cible leur permettra d’acquérir une distance critique qui leur servira lors de la diffusion des publicités sexistes – et tout au long de leur vie.