C’est faux: les garçons ne sont pas meilleurs en mathématiques que les filles. En revanche, il est vrai que ce stéréotype a la vie dure. C’est une représentation partagée par beaucoup de gens et renforcée par le fait que l’on retrouve peu de filles dans les filières scientifiques. En outre, comme les professeurs de maths et des autres disciplines scientifiques sont en majorité des hommes (tandis que les disciplines littéraires sont essentiellement enseignées par des professeures), cela renforce l’a priori selon lequel les maths correspondent davantage à la gent masculine.
Même erronée, cette représentation a de multiples implications. Ainsi, des recherches ont mis en évidence que des devoirs de mathématiques identiques étaient mieux notés par les enseignants lorsqu’un prénom de garçon était en en-tête de la copie. Pourtant, il s’avère que les filles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons, en général (elles redoublent moins, sont plus nombreuses à faire des études supérieures…) mais aussi en mathématiques. Et donc que, durant l’enfance, les garçons ne font pas mieux que les filles en maths, à l’exception de la géométrie et des sous-disciplines qui touchent à la spatialisation.
Sauf qu’à l’adolescence on voit effectivement les résultats des filles en maths chuter, les garçons devenir meilleurs que les filles et les filles fuir les carrières scientifiques – ce qui ne fait que renforcer le stéréotype. Cet échec en mathématiques s’explique par le phénomène de la «menace du stéréotype».
Cela signifie que les filles vont intérioriser le préjugé selon lequel elles sont moins bonnes que les garçons en maths, à tel point que ce cliché va devenir la réalité. En effet, être la cible d’une réputation d’infériorité suffit, dans un contexte évaluatif comme l’est le monde scolaire, à entraver le raisonnement et à diminuer la réussite de la tâche en question. Résultat: non seulement cette représentation erronée de l’infériorité des femmes en maths hypothèque les chances de réussite de l’élève fille, mais en plus, puisque ses notes en maths chutent, le stéréotype est renforcé.
De nombreuses recherches ont mis en évidence ce phénomène de «menace du stéréotype» chez des pré-adolescents et adolescents. L’une d’entre elles, menée sur des jeunes de 11-12 ans, consistait à faire passer un test de mathématiques dans un contexte scolaire suivant deux conditions expérimentales. Le but était de répondre vrai ou faux le plus vite possible à des affirmations mathématiques. Par exemple, 6 x 8 = 48, vrai ou faux?
À un groupe le professeur expliquait aux élèves qu'ils allaient passer un test de mathématiques et qu’ils seraient donc évalués sur leurs compétences en maths. À l’autre le professeur donnait une consigne beaucoup plus floue, sans utiliser le terme «mathématiques», en disant qu’il s’agissait d’un test cognitif. Les résultats ont été comparés en fonction des conditions expérimentales et du sexe.
Quelle que soit la condition expérimentale, les garçons réussissaient de la même façon. En revanche, la réussite des filles était plus flagrante en condition non mathématique. Lorsque le terme mathématique avait été utilisé, leur réputation d’infériorité dans cette matière avait paralysé leur raisonnement.
Il n’est pas étonnant que ce phénomène se produise à l’adolescence, période de construction identitaire. En effet, chaque individu a besoin d’avoir une estime de soi positive, laquelle se construit aussi en fonction des réussites et de l’importance accordée aux domaines d’échec. Lorsque l’on échoue dans une sphère que l’on considère comme mineure, les conséquences sur l’estime de soi seront minimes. Et si l’échec concerne un secteur plus important, l’impact sera plus conséquent.
Or, à un âge où les résultats scolaires sont importants et conduisent à une orientation scolaire distincte, les mathématiques, voie royale dans nos pays européens, sont la matière où il faut réussir. L’alliance de cette pression et de la menace du stéréotype fait peser sur les épaules des jeunes filles un poids. Lors d’évaluations de maths, les filles seront ainsi plus anxieuses (ne serait-ce que parce que qu’elles craignent de confirmer le stéréotype), ce qui nuit à leurs performances en interférant sur leur raisonnement.
Stratégiquement, pour limiter les dégâts sur l’estime de soi, les jeunes filles vont alors désinvestir le domaine scolaire en question, puisqu’elles y éprouvent des difficultés. Elles se conforment ainsi aux codes sexués en vigueur, à un âge de rigidité dans l’identité sexuée: les filles sont nulles en maths, une «vraie fille» n’aime pas les maths et ne peut donc vouloir opter pour la filière scientifique.
Par ce choix scolaire, les filles se ferment les portes de certaines formations et carrières scientifiques. En jouant un rôle dans la chute des résultats scolaires des adolescentes en mathématiques, ce stéréotype, pourtant de nature erronée, a ainsi un impact sur leur avenir professionnel.
Comment éviter un tel retentissement de ce préjugé? Contrer frontalement le stéréotype en affirmant que «ce n’est pas vrai que les filles sont nulles en maths» ne fonctionne pas. Une stratégie plus efficace consiste à pousser les adolescentes à ne pas se sentir comme des représentantes typiques d’un groupe, ici le groupe femmes, et à leur présenter des modèles de femmes performantes dans des domaines scientifiques et techniques. On peut mettre en avant des grands noms, comme Marie Curie, mais aussi – et plutôt que de réécrire l’histoire, Aristote et Pythagore ne pouvant être supprimés de la liste de grandes figures présentées aux enfants – présenter des femmes lambda qui mènent une carrière dans des domaines techniques ou des jeunes filles qui réussissent leurs études scientifiques. En clair, cela revient à leur proposer des modèles positifs d’identification pour qu’elles puissent se dire qu’il est possible d’être une femme et d’être brillante dans le domaine scientifique.