C’est vrai, 80% des élèves punis au collège sont des garçons – ce qui ne signifie pas que quatre garçons sur cinq ont des comportements punissables. Ce fossé entre les sexes est global, et ce même si les règlements intérieurs des établissements sont très inconstants (on ne retrouve pas une seule et même sanction appliquée pour tel ou tel acte répréhensif). Pour autant, cette différence comportementale n’est pas biologique, comme a tendance à le penser le corps professoral. En effet, les raisons des réprimandes renvoient clairement aux codes sexués, puisque les filles sont punies pour bavardage, utilisation du téléphone portable ou de leur baladeur, oubli du livre ou du cahier, tandis que les garçons, eux, sont sanctionnés pour indiscipline, insolence, incivilités, dégradations voire violence sur autrui.

Que les conduites sanctionnables soient davantage le fait de garçons n’a rien à voir avec les chromosomes XY ou un taux de testostérone plus élevé: les garçons ne sont pas «génétiquement» plus turbulents. En réalité, ils ne font que reproduire les codes de genre à un moment de rigidité des codes sexués.

L’école range les enfants dans des cases: élèves face aux professeurs et, en raison de la cristallisation de la frontière intersexe à cette période qu’est l’adolescence, filles contre garçons. Pour montrer aux yeux des autres qu’ils sont bien des garçons (et des hommes en devenir), les élèves de sexe masculin vont rechercher l’affrontement, face à l’enseignant et à leurs camarades, encore plus lorsqu’il s’agit d’individus du sexe féminin. Ils cherchent à affirmer leur posture de mâle dominant. À leurs yeux, la punition vient justement sanctionner, dans le sens prouver, leur virilité. Avoir des retenues, des colles ou être exclu de l’établissement est alors source d’orgueil.

La sanction est recherchée parce qu’elle permet de se valoriser aux yeux des autres garçons, en se positionnant comme un chef de bande, mais aussi aux yeux des filles, celles-ci étant davantage séduites par leurs camarades qui défient l’autorité plutôt que par ceux qui la respectent. C’est donc autour de valeurs comme le virilisme, le sexisme voire l’homophobie que va se construire et se structurer l’identité masculine, et le cercle vicieux hétéronormatif se mettre en place.

Et ce d’autant plus que les élèves filles et les professeures vont intérioriser ce rapport dominant-dominé, les premières en étant charmées par les garçons sanctionnés, les secondes en pensant que la solution pour rétablir l’autorité ne peut venir que des professeurs hommes et donc de l’individu mâle. Attitude qui revient à naturaliser les comportements, à les accepter et à s’y soumettre.

Ainsi, les comportements sexistes des collégiens ne sont ni relevés ni punis. Et ce alors qu’il s’agit de remarques ou de gestes à caractère sexuel, oscillant entre sexisme et harcèlement sexuel, à destination des adolescentes ou des enseignantes (attouchements au niveau des fesses ou des seins, remarques vulgaires du type «viens me la sucer», «je vais te baiser») ou encore de leurs camarades de sexe masculin plus sensibles et respectueux du cadre scolaire (coincés dans les douches par un groupe pour que les «dominants» leur urinent dessus). Les garçons humiliés par leurs camarades se retrouvent obligés de ne pas faire preuve de respect envers le sexe féminin, sous peine d’être mis dans le même sac et de se retrouver dans le groupe des «faibles».

Comment faire alors pour éviter la reproduction presque caricaturale de ces comportements inadéquats? Il faudrait tout d’abord que l’école, surtout au moment de l’adolescence et de la puberté, cesse d’ignorer le fait que les élèves soient en pleine phase de cristallisation de l’identité de genre. Les professeurs n’ont pas face à eux des élèves neutres mais des filles et des garçons. En prendre conscience et traiter du genre dans la formation des enseignants permettrait également de réglementer avec moins de malaise les comportements amoureux des élèves ou les tenues vestimentaires (string ou caleçon qui dépasse). Il faut ainsi penser dès les plus petites classes la mixité afin d’éviter un cloisonnement des codes sexués.

Car il ne s’agit pas seulement d’heures de colle ou de devoirs supplémentaires. Cette injonction de virilité du côté des garçons peut être mise en corrélation avec le décrochage scolaire. Les garçons, qui ne cherchent pas à rentrer dans le moule scolaire mais au contraire à s’y confronter, sont plus nombreux à redoubler et à mettre fin à leurs études à un jeune âge.

Plus largement, cette virilité que s’imposent les jeunes garçons a des implications sur la société dans son ensemble. Si 80% des élèves punis sont des garçons, 88% des personnes mises en cause par la justice sont des hommes et, lorsqu’il y a acte violent, agression ou meurtre, ce pourcentage passe à 94 %. Cette proportion se retrouve de la délinquance routière (83% des conducteurs d’hommes) aux violences conjugales entraînant un décès (86,5% des agresseurs sont des hommes). Ainsi, la plupart des actes violents (scolaires, urbains, sportifs, etc.) dans notre société sont le fait des hommes. Jouer au caïd à l’adolescence n’est donc pas sans conséquence, que ce soit pour les victimes de ces violences comme pour ceux qui en sont à l’origine. Outre les peines d’emprisonnement ou les amendes, ces errements empêchent la poursuite d’études ou la possibilité de trouver un emploi stable.

Plutôt que de tenir un discours sécuritaire, il faudrait construire des programmes de prévention et élaborer une mixité active, afin que les jeunes élèves ne se sentent pas obligés d’adopter un comportement spécifique pour montrer leur appartenance à un sexe. Il s’agirait donc d’une part de cesser de dévaloriser les valeurs dites féminines que sont les sentiments et les émotions et d’arrêter de mettre sur un piédestal la confrontation, comme c’est le cas dans les cours d’EPS, où l’on enseigne presque exclusivement des sports de garçon et d’affrontement. La mise en place d’ateliers de psychologie ou de philosophie dès le plus jeune âge (entre 7 et 12 ans, qui correspond à une période de flexibilité face aux codes sexués), où l’on fait de la place aux mots plutôt qu’aux actes agressifs, est une des pistes que l’on peut envisager.