Les sports pratiqués par les garçons et ceux dans lesquels s’investissent les filles sont très différents.
Les garçons font plus souvent des sports d’équipe, où l’esprit de compétition est fortement valorisé. Vers 8-10 ans, il devient ainsi difficile de faire du foot sans faire partie d’une équipe, et donc sans participer à des matches. On ne fait plus du sport que pour son plaisir, ou alors uniquement en dehors du club. Il faut gagner, battre l’équipe adverse.
Même au sein de l’entraînement ou au cours de l’échauffement, la pratique de la compétition est fréquente: on mettra les bleus contre les rouges et les enfants feront un match «pour de faux». Le fait de gagner ou de perdre est donc une situation tellement habituelle qu’elle en devient banale.
Les filles pratiquent davantage des sports individuels, où la compétition, bien qu’existante, est secondaire. C’est-à-dire que l’on peut exercer ce sport pour soi, sans forcément passer par la case compétition. Souvent participer à une compétition revient à passer à une catégorie supérieure (on passe un premier test, puis un second de niveau supérieur, et ainsi de suite), donc à se surpasser soi-même sans avoir besoin de battre les autres concurrentes. À la différence du football, où il faut vaincre l’adversaire pour avoir gagné.
En outre, lorsqu’elles ne sont pas prêtes à passer le test, les filles ne sont pas présentées. Elles sont donc beaucoup moins confrontées à l’échec qu’à la réussite. Sans compter que la compétition dans les sports individuels pratiqués par les filles, comme la gymnastique artistique ou la danse classique, ne devient souvent accessible qu’à un niveau élevé. L’exigence en termes de capacité sportive est plus conséquente, à l’inverse des sports collectifs comme le foot, où l’on peut s’insérer dans l’équipe en ayant un jeu moyen et où il existe des clubs qui concourent à des niveaux différents. Par conséquent, beaucoup de filles n’atteindront pas ce niveau de compétition et poursuivront la pratique pour le plaisir, ou arrêteront.
Bien entendu, certaines filles atteignent un tel niveau et s’engagent dans une pratique sportive intensive et compétitive. Leur but est alors d'accrocher une médaille à leur cou et de dépasser les autres concurrentes. Mais cette situation de compétition est beaucoup plus ordinaire chez les garçons que chez les filles.
Cette segmentation de la pratique des sports suivant le sexe de l’enfant conduit à une gestion différente de l’échec.
Les garçons connaissent autant la victoire que l’échec: un coup ils perdent, un coup ils gagnent. En termes d’estime de soi, l’échec a un impact tout relatif. Et ce d’autant plus que les garçons, membres d’un collectif, peuvent se dire que leur équipe a gagné grâce à eux mais a perdu à cause des autres, suivant un processus d’internalisation de la victoire et d’externalisation de la défaite.
À l’inverse, pour les filles, l’échec est souvent dévastateur: lorsqu’elles ratent, ce ne peut être que de leur faute, elles se perçoivent comme des incapables.
À travers l’univers sportif, les garçons apprennent aussi davantage que les filles à aller contre l’autre, à s’imposer. La forme des terrains dans les sports collectifs pratiqués par chacun des deux sexes induit une gestion différente de l’espace et de la relation à l’adversaire. Au football comme au basketball, un seul terrain est investi par les membres des deux équipes. Pour gagner, il faut avoir traversé l’espace de jeu de l’adversaire: on marque un but en tirant dans les cages défendues par le goal de l’équipe adverse. En revanche, au volley, sport collectif pratiqué par les filles, il n’y a pas besoin de lutter pour occuper l’espace: chaque équipe a le sien, séparé par un filet.
En apparence, il ne s’agit que de sport. Mais la valorisation de l’esprit de compétition chez les garçons, l’exhortation à s’imposer pour dominer l’autre et la gestion différente des débâcles sportives suivant le sexe auront des répercussions sur leurs futures carrières professionnelles. Les femmes vont par exemple ne postuler à une offre d’emploi que si elles correspondent au moins à 70% des critères, pour éviter tout refus, qui serait vécu comme une remise en cause, alors que les hommes postuleront s’ils répondent à plus de 40% des qualifications requises. D’un côté, les femmes anticipent l’échec et adoptent une stratégie d’évitement. De l’autre, les hommes se disent qu’ils n’ont rien à perdre.