Il est vrai qu’au moment du baccalauréat on constate qu’en moyenne les filles ont des notes en éducation physique et sportive (EPS) inférieures de 1 à 2 points à celles des garçons, l’écart variant suivant les sports pratiqués et les sections. Mais il apparaît que ce fossé entre filles est garçons provient davantage des disciplines sportives enseignées et de la façon dont est gérée la mixité que des différences biologiques entre les deux sexes.

Quel que soit le sexe, il est important pour la santé des enfants d’exercer une activité sportive au sein de l’école. Et ce d’autant plus que certains d’entre eux ne peuvent faire du sport et se dépenser physiquement qu’au sein du monde scolaire. C’est le cas des enfants des classes socio-professionnelles les plus défavorisées mais aussi des filles. Les filles des CSP- sont ainsi les plus touchées, la socialisation étant très tôt différenciée dans ces milieux, puisque le domaine verbal y est considéré comme féminin alors que l’activité physique est perçue comme une sphère masculino-centrée (en miroir de l’absence d’exercice physique des filles, les faibles performances de leurs camarades masculins dans les matières littéraires, comme le français et la philosophie). De manière générale, les filles arrêtent plus tôt que les garçons la pratique du sport en dehors du monde scolaire, entre 9 et 12 ans. L’école est donc là pour ceux et celles qui n’ont pas les moyens, financiers ou culturels, d’avoir une activité physique en dehors de son enceinte.

Sauf que les activités sportives exercées au sein de l’école ont un sexe, et il est souvent masculin: 60 à 70% des sports enseignés sont perçus comme des sports de garçons. Tout comme la mixité scolaire de manière générale lors de son entrée en vigueur, la mixité des cours d’EPS n’a pas été pensée en lien avec le genre. Les choix des sports traduisent l’androcentrisme de notre société. Ainsi, les enseignements dispensés aux garçons avant que la mixité scolaire soit introduite ont été transposés à l’ensemble des classes mixtes.

Les sports que choisissent les professeurs d’EPS sont le plus souvent des sports collectifs (basket, volley) ou tout du moins des sports d’affrontement (badminton), notamment parce qu’ils sont connus des élèves. Sauf qu’en réalité ce sont des sports majoritairement pratiqués par les garçons, en clubs ou pour leur plaisir.

Les filles devraient tirer profit de l’initiation à ces sports qu’elles sont, en raison de la culture de leur sexe, peu habituées à exercer. Les confronter, avec des sports d’affrontement, à la défaite et à la victoire ne peut que leur être utile pour gérer les échecs et les réussites dans leur vie professionnelle future. Mais, en pratique, les professeurs constatent que les filles sont de plus en plus passives pendant les cours de sport, tandis que les garçons redoublent d’activité.

Au début du cours, lorsque les élèves se sont changés et rentrent dans la salle de sport, sur le stade ou sur le terrain, la scission est visible: d’un côté, les filles vont s’asseoir sur un banc et papoter; de l’autre, les garçons, dès qu’une balle traîne, ne manqueront pas de s’en emparer et de jouer avec. Cette passivité des filles, qui a le don d’agacer les professeurs et de renforcer les stéréotypes de genre, s’explique en fait par l’âge des élèves concernés. À l’adolescence, les jeunes se sentent le devoir de se conformer à des attitudes genrées afin de montrer leur appartenance à leur propre sexe: si les garçons sont si énergiques, c’est parce qu’ils associent l’activité à la virilité tandis que les filles ont l’impression qu’elles perdront en féminité si elles se montrent actives.

En plus de ce manque de motivation en lien avec l’identité sexuée, les jeunes filles ne connaissent pas les règles des sports enseignés, qu’il s’agisse de la façon de compter les points ou des dimensions du terrain. Idem pour les bases physiques: sans forcément être moins musclées ou athlétiques, elles n’ont pas le même niveau que leurs camarades de sexe masculin en termes de placement, de pivot, d’esquive, de passage de balle aux coéquipiers, ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas eu le même nombre d’heures d’entraînement à l’extérieur de l’école.

En outre, dès la naissance, l’accent est davantage mis sur la mobilité du côté des garçons que pour les filles. S’il est vrai qu’à l’adolescence les garçons prendront de la masse musculaire alors que les filles auront tendance à prendre de la masse graisseuse, il ne faudrait pas oublier de tenir compte de l’influence de la possibilité sociale d’exercer un sport. Ces dernières décennies, les sportives de haut niveau n’ont cessé de dépasser les records de leurs aînées; c’est bien la preuve que la pratique du sport augmente la masse musculaire et les performances sportives. L’habitude culturelle d’exercer un sport en dehors du monde scolaire joue pour beaucoup (en tout cas bien plus que les différences biologiques) dans ces écarts de performance filles-garçons en EPS.

Reste à savoir comment les professeurs peuvent faire face à ce fossé entre filles et garçons, même s’il est culturellement induit. Ils sont de fait confrontés à une alternative. Soit ils prennent le temps d’expliquer les règles de base, pour que les filles les connaissent. Ils risquent alors d’ennuyer les garçons, qui sont déjà rompus à l’exercice de ce sport, ce qui générera un probable chahut et des difficultés à gérer la classe – et ce d’autant plus que les garçons ont envie d’être mis en situation compétitive, de faire un match plutôt que d’apprendre à faire des dribbles. Soit ils mettent d’emblée les élèves en situation collective de compétition, c’est-à-dire de match, et les filles seront en majorité à la traîne, physiquement et techniquement. Résultat: démotivées, elles auront beau être sur le terrain, elles n’y mettront pas du leur pour jouer et les garçons ne leur passeront pas la balle.

Face à cet écart en termes d’attente (les filles préférant faire des progrès dans une ambiance de bonne entente et de convivialité tandis que les garçons souhaitent faire de la compétition), de connaissance des sports (les filles n’ayant pas l’habitude de pratiquer ces «sports de garçons», elles mettent plus de temps à en appréhender les règles) et de motivation, ainsi que pour des raisons de maintien de la discipline, les professeurs feront souvent jouer les filles entre elles sur un terrain et les garçons sur un autre. Certes, c’est une façon d’empêcher le fait que ce soient toujours les filles qui sont choisies en dernier lorsque les élèves constituent leurs équipes parce que les garçons ne tiennent pas à jouer avec elles, ce qui diminue leur estime d’elles-mêmes et baisse une nouvelle fois leur motivation.

Mais cela n’endigue en rien les remarques sexistes des garçons sur les tenues de leurs camarades (remarques piochées dans le discours tenu par les journalistes sportifs mais aussi par les fédérations, comme la fédération féminine de handball, qui prône le retour de la jupe pour rendre ce sport «sexy» et attirer des spectateurs masculins). Sans compter que faire du sport dans des conditions non mixtes n’incite en rien les filles à être plus actives sur le terrain. Et qu’il existe aussi des filles très sportives qui ont envie de se confronter à des garçons et, à l’inverse, des garçons peu sportifs qui sont contents d’être dans un groupe mixte afin de ne pas être identifiés comme faisant partie du groupe des plus faibles.

Plusieurs questions subsistent: comment gérer alors la mixité en sport dans le cadre scolaire? Et comment tenir compte, à travers les notes données aux élèves, de cet écart de performances physiques à origine socio-culturelle? Certains établissements ont pour leur part décidé de dédier le premier trimestre à un sport étiqueté comme masculin, le deuxième à un sport dit féminin et le troisième à un sport neutre, avec un barème différent suivant le sexe, afin que chaque élève soit confronté à l’apprentissage d’un sport de son propre sexe et du sexe opposé. Certains professeurs choisissent de réajuster les moyennes des élèves en tenant compte de leur comportement pendant le cours d’EPS: en sus de la capacité physique, ils seront ainsi évalués sur leur tenue, correcte ou non, et le fait qu’ils aident ou pas à installer et ranger le matériel. Il n’existe pas encore de solution toute faite. Les membres du corps enseignant sont encore en train de confronter leurs idées et de chercher à construire leurs cours de manière adéquate, sans y parvenir tous; à leur décharge, ils n’ont pas forcément été sensibilisés à la question du genre lors de leur formation.