C’est faux: contrairement à ce que l’on croit, la mixité scolaire a été introduite non pas en raison d’idéaux égalitaristes mais suivant une logique économique. Lorsque l’école est devenue obligatoire pour tous, le maintien de deux écoles, une pour les filles et une autre pour les garçons, dans chaque quartier ou ville est devenu trop cher. C’est donc d’une volonté de rationalisation financière qu’est née la mixité scolaire dans le primaire, avant de s’étendre au secondaire et ensuite aux formations universitaires et professionnelles.
Si les origines de la mixité scolaire ne se trouvent pas dans une revendication d’égalité entre les sexes, son introduction a toutefois permis aux filles de recevoir une éducation plus complète et a permis d'avancer vers une certaine égalité des sexes. Avant, les formations étaient différentes suivant le sexe: l’instruction que les filles recevaient visait à en faire de bonnes épouses et mères de famille, en leur délivrant un enseignement ménager d’une part, mais aussi en leur apprenant à lire, à écrire et à compter dans le but de tenir le budget familial. Avec la mixité, outre quelques aménagements qui ont persisté pendant un temps (cours de couture pour les filles pendant que les garçons suivaient des ateliers de bricolage), les jeunes filles ont intégré les écoles de garçons et suivi les programmes scolaires qui étaient auparavant destinés au seul sexe masculin, avec des cours de sciences, de mathématiques, etc. La mixité est alors perçue comme un tremplin vers l’égalité des sexes.
Dans les années 1970, les filles ont commencé à avoir de meilleurs parcours scolaires que les garçons (meilleures notes, moins de redoublements, plus de bachelières que de bacheliers…). Ce phénomène n’a été remarqué par la recherche que dans les années 1990. C’est ainsi qu’au début des années 2000 les chercheurs se sont intéressés à ce que la mixité avait apporté aux garçons – des inconvénients? Si, même au moment où la mixité a été introduite, le monde politique ne s’était pas réellement demandé si la non-mixité avait des impacts négatifs sur la formation des filles, dès l’instant où il a été mis en évidence que les garçons étaient moins bons que les filles à l’école, il s’est interrogé sur les retentissements de la mixité sur l’éducation des garçons.
C’est dans ce contexte qu’en janvier 2003 le mensuel Le Monde de l’Éducation a consacré un dossier à la mixité scolaire, avec en couverture «Mixité, faut-il sauver les garçons?». Ce titre a été suivi en septembre de la même année de la parution de l’ouvrage, polémique, du sociologue du CNRS Michel Fize Les pièges de la mixité scolaire. Son sous-titre était fort alarmiste: «Réussite des filles et échec des garçons, désarroi des élèves et déprime des enseignants, comportements sexistes et violences sexuelles». À partir de ce moment-là, le débat sur la mixité scolaire ne s’est plus limité aux colloques des spécialistes mais a débarqué sur la place publique. On voyait Michel Fize débattre sur le plateau de télé d’Ardisson avec une féministe. Et chacun prêchait pour sa chapelle.
La thèse des masculinistes était la suivante: la mixité, en mettant les garçons dans une situation d’échec scolaire, les empêchait de construire leur identité masculine, ce qui les faisait se tourner vers des comportements plus «virils» et «machistes» et expliquait donc les violences des garçons envers les filles dans le milieu scolaire et en dehors de l’école, violences qui ont été mises en évidence dans les milieux défavorisés. La mixité agissait comme caisse de résonnance: mettre dans une même classe filles et garçons ne fait qu’accroître la notion de catégorie de sexe, laquelle amplifie le recours aux stéréotypes et aux comportements sexués, qui peuvent exacerber les rapports entre les sexes et donc générer des attitudes violentes.
Pour les féministes aussi, mixité était loin de rimer avec égalité. Mais c’était les jeunes filles qui pâtissaient des imperfections de la mixité: les enseignants continuaient de renforcer les comportements sexués en traitant différemment les élèves (notes différentes d’une même copie suivant le sexe, remarques et questionnements différenciés). Malgré la mixité, la sexuation du regard enseignant et l’étiquetage des disciplines littéraires comme féminines et de celles scientifiques comme masculines étaient à l’origine du phénomène de la «menace du stéréotype», qui faisait se conformer les filles à ces clichés et les rendaient vivants («les filles sont mauvaises en maths»). La mixité n’avait pas pu empêcher l’orientation sexuée des parcours scolaires et professionnels et avait même plutôt renforcé les stéréotypes.
Le débat était tellement virulent qu’il a dépassé les frontières de l’Hexagone et que la question de savoir s’il fallait supprimer la mixité scolaire s’est posée. Des rapports ont été commandés. Les résultats n’étaient pas convaincants et parfois contradictoires. On avait tenté de comparer des écoles mixtes avec des programmes pilotes de classes non mixtes aux États-Unis, au Canada ou en Allemagne. Mais la comparaison était difficile parce que les classes n’étaient pas toujours de même niveau, les élèves ne provenaient pas des mêmes milieux sociaux et les écoles non mixtes étaient uniquement des écoles de filles et non de garçons.
Le débat a fini par se pacifier. Certes, la non-mixité pouvait bénéficier aux filles car le phénomène de «menace du stéréotype» ne trouverait pas prise (ou de manière atténuée) dans un environnement scolaire non mixte, mais la question restait de savoir si les individus de sexe féminin pouvaient garder cet avantage dans le monde professionnel, qui, lui, est mixte. En outre, supprimer la mixité ne garantissait en rien que les garçons allaient (re)devenir meilleurs que les filles dans l'univers scolaire.
Ainsi, la mixité semble être un acquis sur lequel on ne reviendra pas. Ce qui est à l’étude en ce moment, c’est plutôt de sensibiliser les acteurs du monde de l’éducation (petite enfance, école primaire, secondaire) à la question du genre, pour développer une pédagogie non sexiste, qui apaisera les relations filles-garçons. L’ennui, c’est que ces formations restent encore très lacunaires, parce qu’elles ne sont pas une priorité politique, mais aussi parce que cela remet en cause les agissements des membres du corps enseignant, qui pensent, en toute bonne foi, agir envers les élèves de manière égalitaire.