Lorsque la Barbie est née il y a plus de 50 ans (elle a été créée en 1959), elle était très moderne. Si elle est aujourd’hui très décriée en raison de ses formes physiques (tour de taille, longueur des jambes, taille de la poitrine), qui sont totalement irréalistes, elle a pourtant permis aux jeunes filles de se projeter dans un rôle de future femme.

C’était en effet les préadolescentes, les jeunes de 10 voire 12 ans, qui jouaient avec et se projetaient ainsi dans leur rôle de future femme. Barbie était alors une représentation de la femme moderne, indépendante, dans le sens où elle n’était pas dépendante de son mari. Elle a été représentée dans un nombre incalculable de professions, larges et diversifiées, dans lesquelles les jeunes filles ont pu se projeter (maîtresse d’école, infirmière, hôtesse de l’air, mais aussi médecin, vétérinaire, militaire, femme d’affaires, professeure d’université, sportive d’élite et astronaute). Alors qu’avant, lorsqu’elles jouaient avec leur poupon, seul le rôle maternant leur était suggéré.

Dans un mouvement naturel, les filles un peu plus jeunes ont souhaité jouer avec Barbie – les enfants ne souhaitent pas forcément être adultes, mais avoir quelques années de plus, et quoi de mieux que d’emprunter les jouets de leur grande sœur. Cet attrait des plus jeunes filles pour la Barbie s’est accompagnée d’un dédain par celles qui en avaient fait leur compagne de jeu – lorsque la grande sœur de 13 ans voit que sa sœur de 10 ans aime les mêmes jouets qu’elle, elle a souvent tendance à les délaisser. C’est pour cela qu’actuellement les Barbie sont achetées pour des petites filles de 3 ans, qui n’ont d’ailleurs pas forcément la motricité adéquate pour jouer avec les objets vendus avec Barbie.

Sans compter que si Barbie était d’avant-garde, son évolution a été rétrograde: aujourd’hui, Barbie est princesse, fée ou pop star, profession qui tient plus du rêve et de la féérie que de la réalité. La Barbie est maintenant clairement associée à la sphère privée, toujours luxueuse, puisqu’elle fait du golf, et même si Skiper, Stacie et Chelsea sont censées être les petites sœurs de Barbie, les petites filles vont davantage se projeter en maman-Barbie qui s’occupe de petites Barbie. L’utilisation de codes enfantins dans les publicités pour Barbie prouve bien que le cœur de cible n’est plus les préadolescentes mais bien les petites filles. Barbie est ainsi devenue un nouveau poupon, un jouet à materner, qui peut créer en plus, en raison de ses proportions aberrantes, des problèmes psychologiques et des troubles alimentaires associés.

En parallèle, puisque la Barbie fait «trop bébé», les préadolescentes ont jeté leur dévolu sur les Bratz, ces figurines «adulescentes» aux grands yeux maquillés et aux lèvres pulpeuses. Ces poupées sont fortement appréciées des 8-12 ans en raison de leur maquillage exubérant, de leur look branché et de leur côté chipie et déluré. Plus sensuelles, apprêtées, sexy voire sexualisées par leurs tenues (mini-short ou mini-jupe, très hauts talons ou bottes montantes sexy, top moulant laissant le ventre dénudé et le décolleté apparent), ces poupées sont le pendant «fashion» et moderne de Barbie: leurs vêtements n’évoquent pas des professions ou des activités mais bien le monde de la mode. Les Bratz remplacent donc le segment de marché auparavant utilisé par les Barbie en accentuant la dimension esthétique de la figurine.

Difficile alors pour les jeunes filles de se construire autrement que dans une féminité exacerbée, axée sur l’apparence, la passivité et le désir de plaire – avec l’acceptation sous-jacente d’être un objet sexuel. Sans compter que, dans les vidéo-clips qu’elles prennent plaisir à regarder, les femmes sont représentées dans des tenues suggestives, prennent des poses à connotation sexuelle et servent souvent de faire-valoir à l’homme hypra-musclé qu’elles entourent.

Quant aux magazines pour filles auxquels elles demandent d’être abonnées, ils évoquent les mêmes thèmes que la presse féminine adulte (mode, beauté, cuisine et people). Dans leurs pages, on retrouve les mêmes codes graphiques: les jeunes mannequins sont habillés et accessoirisés comme leurs aînées, prennent des poses sexuées, ce qui participe de l’érotisation du corps enfantin.

L’apparition des Bratz et le fait que des filles de plus en plus jeunes jouent avec une Barbie rappelle l’hypersexualisation progressive des tenues des fillettes. Dans les rayons, on trouve des strings, des soutiens-gorge push-up, des jeans taille basse, des T-shirts moulants et au décolleté prononcé, des chaussures à talons! Le maquillage ou les habits sexy ne sont plus perçus comme un déguisement pour ces très jeunes filles mais bien comme un modèle à suivre au quotidien.

Les modèles proposés au sexe féminin par les Barbie et les Bratz, pendant de l’hypersexualisation des petites filles que l’on retrouve dans les rayons de prêt-à-porter, à la télévision ou dans les magazines féminins, sont le miroir de ce que la société de consommation propose aux garçons. Les modèles sont antinomiques, mais ils se ressemblent en ce qu’ils mettent en évidence les codes associés aux deux sexes: avec ces poupées, les filles sont mises sur les rails du paraître, tandis que les garçons doivent se conformer à l’hypermasculinité d’Action Man, à son fort degré d’activité, à ses prises de risque et à une compétition constante.