Ce n’est pas sûr que ce soit une bonne idée: les en­fants ne sont pas «neutres». Ils ont be­soin de sa­voir qui ils sont et no­tam­ment s’ils sont un gar­çon ou une fille. Cette connais­sance, ils ne l’ont pas en eux lors­qu’ils naissent, ils ne peuvent l’ac­qué­rir que par ce qu’on pro­jette sur eux. Ils ont donc be­soin d’être re­con­nus par leur sexe.

On peut ainsi rap­pro­cher cette uti­li­sa­tion du pro­nom neutre à la vo­lonté de cer­tains pa­rents de ne pas dé­voi­ler à leur propre en­fant son sexe. L’en­fant se com­prend et se construit à tra­vers le re­gard des autres. Ne pas sa­voir s’il est une fille ou un gar­çon pen­dant son en­fance al­tère la construc­tion iden­ti­taire et peut en­traî­ner des troubles à l’âge adulte.

Ce qui pose réel­le­ment pro­blème n’est pas tant de s’adres­ser aux en­fants en tant qu’in­di­vi­dus d’un sexe ou d’un autre: ce sont plu­tôt toutes les conno­ta­tions qui en­tourent les deux sexes, no­tam­ment dans le lan­gage (et qui sont par­fois ins­crites dans le dic­tion­naire). On dira ainsi sou­vent à une fille qu’elle est mi­gnonne et à un gar­çon qu’il est cos­taud. Il n’est pas sûr qu’en uti­li­sant le pro­nom neutre sué­dois hen on par­vienne à ban­nir ces ad­jec­tifs conno­tés.

Il en va de même lorsque l’on s’adresse aux en­fants dans un col­lec­tif. Bien sûr, il vaut mieux s’adres­ser à eux en di­sant «les en­fants» plu­tôt que de di­cho­to­mi­ser les groupes en di­sant «les gar­çons» et «les filles». Mais, ici en­core, ce n’est pas tant le fait de ca­té­go­ri­ser un groupe en fonc­tion du sexe des en­fants qui le consti­tuent qui pose pro­blème –d’au­tant que les en­fants, dans la cour de ré­créa­tion, vont na­tu­rel­le­ment se ras­sem­bler par groupes sexués ho­mo­gènes. C'est plu­tôt le risque de ren­for­cer l'idée que cer­taines ac­ti­vi­tés sont as­so­ciées à un sexe plu­tôt qu’à un autre, d’ajou­ter une ca­té­go­ri­sa­tion sté­réo­ty­pée.

Les ac­ti­vi­tés des adultes eux-mêmes sont aussi concer­nées: si c’est tou­jours l’édu­ca­teur qui va jouer avec les en­fants qui veulent se dé­pen­ser et qui va ré­pa­rer un objet dé­fec­tueux et que c’est constam­ment l’édu­ca­trice qui reste au calme à co­coo­ner les en­fants fa­ti­gués et qui dé­bar­ras­sera la table, les en­fants conti­nue­ront d’as­so­cier l’ar­deur et le bri­co­lage au mas­cu­lin et la dou­ceur et les tâches mé­na­gères au fé­mi­nin. Et, plus tard, ils adop­te­ront ces mêmes com­por­te­ments en fonc­tion de leur ap­par­te­nance à un sexe.

Si on veut lut­ter dès l’en­fance contre le sexisme, uti­li­ser la voie neutre semble donc moins utile que de pro­po­ser une mul­ti­tude de mo­dèles, larges et dif­fé­ren­ciés, aux pe­tites filles et aux pe­tits gar­çons. L’ob­jec­tif est qu’ils puissent as­so­cier la plus large pa­lette pos­sible d’ac­ti­vi­tés, de sports, de jeux, de com­por­te­ments à leur propre sexe, qu’ils se pro­jettent dans un champ des pos­sibles qui n’est pas li­mité en fonc­tion de leur sexe. Et cela n’est pos­sible que s’ils ont eu face à eux des mo­dèles, des in­di­vi­dus de leur propre sexe qui ont ef­fec­tué toute la gamme de ces ac­ti­vi­tés, pra­ti­qué ces sports, joué à ces jeux, eu ces com­por­te­ments… C’est seule­ment ainsi qu’une pe­tite fille pourra par exemple se dire qu’elle peut elle aussi grim­per aux arbres et que ce n’est pas une ac­ti­vité ré­ser­vée aux gar­çons.

Tout ne se ré­duit pas au lan­gage et à l’uti­li­sa­tion d’un pro­nom neutre: il s’agit plu­tôt d’avoir une ré­flexion sur ses propres com­por­te­ments, d’évi­ter les ré­flexes et au­to­ma­tismes sté­réo­ty­pés dans les­quels nous bai­gnons nous-mêmes de­puis notre en­fance et que nous im­po­sons aux en­fants sans for­cé­ment en avoir conscience.