C’est vrai. Certes, les matchs de badminton ou de tennis peuvent être mixtes, mais il n’y a que lors des épreuves d’équitation que les hommes et les femmes s’affrontent individuellement. Les sports équestres (saut d’obstacles, dressage, voltige) font partie des rares disciplines où la compétition est mixte. Peut-être parce que, comme pour la voile, qu’il s’agisse du Vendée Globe ou de la Route du Rhum, il existe un médiateur – dans un cas le cheval, dans l’autre le bateau – permettant de relativiser les différences de masse musculaire entre les deux sexes. La réussite n’y est donc pas perçue comme n’étant due qu’aux muscles!

Pourtant, à l’origine, la pratique de l’équitation est une activité essentiellement masculine. Les chevaux étaient harnachés uniquement pour guerroyer. Puis, dans les classes les plus aisées, monter à cheval est devenu un loisir ouvert au sexe féminin, avec toutefois l’interdiction d’être à califourchon; pour des raisons de bienséance, les femmes devaient revêtir une tenue particulière et monter en amazone, les deux jambes du même côté et non écartées.

Progressivement, l’équitation s’est démocratisée, les clubs équestres se sont ouverts à une clientèle plus diversifiée. Notamment aux enfants: si auparavant on ne montait que des chevaux, l’ouverture de poneys clubs a permis à des jeunes de pratiquer les sports équestres dès 4-5 ans. Aujourd’hui, les cavaliers sont essentiellement des filles et des adolescentes.

Cette transformation a des origines commerciales. De plus en plus de livres et de magazines ont associé le féminin au monde du cheval. Idem dans le monde du jouet: peluches, crinières à coiffer, figurines en plastique Petit Poney, jeux vidéo Léa passion vétérinaire où l’objectif est de s’occuper de son poney – autant d’activités ne dépassant pas les frontières des domaines du soin et de l’esthétique.

Le monde de l’équitation n’a pas tardé à y trouver son compte (et à voir la manne de bénéfices qu’il pouvait engranger). Les magasins spécialisés dans les articles équestres ont mis en vente des produits ciblant les jeunes filles. Outre les tenues spécifiques suivant que l’on est un cavalier ou une cavalière, le matériel de pansage, les chabraques et guêtres pour chevaux ont été produits dans une gamme de couleurs souvent pastel allant du rose au mandarine en passant par le mauve et le violet, parfois même agrémentés de paillettes.

Les centres équestres ont eux aussi tiré profit de l’entrée des jeunes filles dans ce sport, qui, en plus de monter à cheval dans le manège, se sont empressées de toiletter les chevaux, les nourrir, ranger leurs stalles, balayer l’écurie, etc. Elles prennent aussi exemple sur leurs mères, qui, lorsqu’elles sont au manège, plutôt que de regarder tout du long la leçon, préfèrent donner un coup de main. Les recherches mettent en évidence que les filles souhaitent faire de l’équitation pour s’occuper de l’animal (care), tandis que les garçons les brossent à peine avant de les seller et recherchent avant tout la performance de l’activité. Cette main-d’œuvre bénévole ne pouvait qu’être encouragée.

Ainsi, si aux JO l’équitation est un sport mixte, la volonté première de pratiquer le sport n’est pas la même suivant le sexe. Et les disciplines équestres suivent elles aussi une division sexuée: on retrouve davantage de femmes dans les épreuves de dressage, où l’on est moins dans la puissance et la démonstration de force, et plus d’hommes dans les concours d’obstacles, la discipline reine.

Plus les cavaliers et cavalières prennent de l’âge, plus on constate une «masculinisation» de ce sport. Dans les épreuves juniors, les adolescentes sont encore extrêmement majoritaires. Mais plus le niveau augmente (hauteur et largeur des obstacles, difficulté du parcours), plus les prix de ceux qui remportent les épreuves sont conséquents, moins il y a de femmes qui concourent. Ainsi, les compétiteurs adultes, même s’ils sont sélectionnés parmi un réservoir majoritairement féminin de jeunes licenciés, sont le plus souvent des hommes.

Cela s’explique d’une part par la façon dont les jeunes abordent ce sport: si beaucoup de jeunes filles pratiquent l’équitation, elles n’ont pas pour autant un rapport positif avec la compétition et sont là avant tout pour s’occuper de leur monture et profiter de l’esprit convivial du centre équestre. En revanche, les garçons ont beau être peu à s’inscrire dans un centre, ils sont proportionnellement plus nombreux à vouloir faire de la compétition et investir les terrains de concours.

Mais ce manque d’esprit compétitif n’est pas le seul à expliquer le désamour progressif des jeunes adolescentes pour les concours équestres. Plus le niveau de compétition monte, plus les moyens financiers nécessaires pour la pratique, mais aussi pour la pension du cheval augmentent. Les cavaliers doivent dépendre de riches mécènes, qui sont beaucoup moins enclins à confier leurs chevaux à des cavalières que des cavaliers. Peut-être en raison de l’origine masculine de ce sport. Mais avant tout parce qu’ils ont dans l’idée qu’à un tel niveau il faut plus de force physique pour maîtriser l’animal, ce qui est faux.

La situation est néanmoins en train de se modifier depuis que l’Allemande Meredith Michaels-Beerbaum fut la première cavalière à remporter trois fois la finale de la Coupe du monde de saut d’obstacles avec Shutterfly (2005, 2008, 2009). L’image des cavalières ainsi reboostée, les sports équestres s’ouvrent davantage aux femmes. En outre, les sponsors ont mis le pied dans le monde de l’équitation et ont remplacé les riches mécènes anonymes. Sponsoriser une cavalière de haut niveau, c’est aussi s’assurer de toucher le cœur de cible, à savoir les jeunes adolescentes pratiquant l’équitation. La cavalière de sauts d’obstacles Malin Baryard-Johnsson est ainsi une des égéries de la marque H&M depuis 1996.

Ces modèles de réussite affichés par des marques permettent certes aux jeunes filles d’envisager avec plus de volonté une carrière équestre de haut niveau. Mais ils continuent d’associer les femmes au monde de l’esthétique ou au rôle de mère – comme en atteste le fait que Meredith Michaels-Beerbaum soit devenue l’ambassadrice de la marque Kiddy. Si la mixité existe dans les épreuves équestres sportives, il semble qu’elle n’ait pas encore tout à fait imprégné la société: dans les médias, contrairement à leurs homologues masculins, les grandes sportives sont encore interrogées sur leurs capacités maternelles.