Oui, les manuels scolaires sont sexistes. Tout comme les ouvrages qui ont pour objectif l’apprentissage de la lecture ou du français. Ou encore ceux piochés dans la littérature enfantine et que l’on utilise dans les petites classes pour la lecture à voix haute. De nombreuses recherches en attestent.

Ces manuels scolaires et ouvrages véhiculent aux enfants une représentation du masculin et du féminin qui n’est pas égalitaire. Or ce sont des livres qui, dans la tête des enfants, font autorité: dans les pages d’un manuel scolaire se trouve une idée de norme. Ce qu’ils disent est donc perçu par les élèves comme forcément vrai, juste. C’est ainsi que la vision du monde colportée par ces manuels inscrit dans leurs esprits une représentation du masculin et du féminin d’arrière-garde.

Déjà, en 2008, une recherche française d’envergure missionnée par la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) a mis en évidence ces représentations sexuées inégalitaires. Cette inégalité est d’une part quantitative puisque les hommes sont plus représentés que les femmes dans les illustrations, mais aussi dans la quantité de personnages mentionnés. Cette disparité est également qualitative: la place occupée par les femmes ne représente pas la réalité de la vie de la gent féminine aujourd’hui, parce que, dans ces manuels, les personnages féminins sont absents de l’espace politique et intellectuel et sont surreprésentées dans la sphère domestique. Et lorsque les femmes travaillent, elles sont quasi cantonnées à des emplois étiquetés comme massivement féminins. Dans ces manuels, presqu’aucun modèle féminin n’est valorisant.

Ce traitement différencié dans les manuels scolaires et cette surreprésentation masculine persistent. Les maisons d’édition n’ont pas forcément la volonté ni les compétences pour éradiquer les stéréotypes et proposer des manuels plus représentatifs de la diversité actuelle. Et les membres du corps enseignant, ne recevant quasiment pas de formation sur le genre, n’ont pas forcément conscience des codes sexués qu’ils transmettent aux enfants.

En outre, il est vrai que ce sexisme des manuels peut sembler un combat d’arrière-garde, car les ouvrages et notamment les illustrations ont un «look» plus moderne. Sauf que le contenu ne l’est pas. C’est ce que révèle une recherche belge toute récente sur les manuels scolaires.

En termes quantitatifs, le sexe masculin est surreprésenté par rapport au sexe féminin. Ainsi, 61% des phrases évoquent exclusivement des prénoms masculins et seulement 33% des prénoms féminins – les 6% restant correspondent à des phrases qui mentionnent à la fois des prénoms de personnages masculins et féminins. Quant aux personnages célèbres, ce sont à 87% des hommes, qu’ils soient historiques, à l’instar de Victor Hugo, ou fictifs, comme Zorro ou Tintin. Et les personnages féminins célèbres sont majoritairement tirés des contes de fées et sont donc soit des princesses, soit des sorcières. En ce qui concerne les auteurs auxquels il est fait référence, qu’il s’agisse d’ouvrages classiques ou de bandes dessinées, 86% sont des hommes et 14% des femmes: les patronymes que les enfants connaissent auront donc tendance à être des noms d’hommes, de La Fontaine à Peyo et Hergé en passant par Jules Renard.

Idem dans les illustrations: 56% des images représentent exclusivement des garçons ou des hommes, 23% uniquement des figures féminines (filles et femmes) et 21% des illustrations font figurer des personnages des deux sexes. Et, lorsqu’est représenté un duo de personnages masculin et féminin, c’est-à-dire quand une parité quantitative est atteinte, cela ne signifie pas pour autant qu’il existe une égalité entre les sexes. Au contraire, l’image donne à penser qu’il subsiste un rapport hiérarchique entre les deux protagonistes, la fille ou la femme étant positionnée en retrait.

De la même façon, quand l’enfant est représenté aux côtés d’un adulte, c’est la femme qui accompagne l’enfant dans 69% des cas, l’homme dans 24% et les deux en même temps dans seulement 7% des cas. La plupart du temps, il s’agit de la mère du bambin ou de son institutrice. On retrouve donc une notion d’éducation, qu’elle soit privée (maternelle) ou publique (scolaire). En outre, les mères présentes sont souvent associées à la tendresse, tandis que les pères sont la plupart du temps de passage et leur est attribuée non plus l’affection mais l’autorité.

Ainsi, la représentation attachée aux hommes adultes est celle d’un personnage qui exerce avant tout une activité professionnelle dans le but de ramener de l’argent au foyer. Une vision qui ne prend pas en compte les «nouveaux pères», qui n’incarnent pas seulement une figure autoritaire dans l’éducation de leurs enfants.

Quant aux femmes, les manuels scolaires les placent à l’intérieur, dans la sphère privée. La scission intérieur-extérieur, privé-public est consacrée à travers le genre. On l’observe dans les métiers qui sont cités. 85% n’existent qu’au masculin: ce sont les policiers, les soldats et autres métiers dans le domaine de la sécurité, les pompiers, les médecins, les garagistes, les mécaniciens, les directeurs, autant de professions associées à la force, le courage ou la prise de responsabilité. Les 15% féminins renvoient à l’esthétique, aux soins, à l’éducation ou aux tâches ménagères érigées en profession: cuisinière, couturière, costumière, décoratrice, artiste, infirmière, institutrice. Une sexuation des professions qui rejoint fortement celle constatée dans les catalogues et magasins de jouets pour enfants.

Ces représentations sont aussi transmises dans les manuels d’apprentissage de la langue scolaire, dans les exemples illustrant des règles grammaticales. Indépendamment de la féminisation orthographique des professions dont certains manuels ne veulent pas s’encombrer pour ne pas compliquer la tâche des enfants, certains qualificatifs et activités restent attachés essentiellement à un sexe.

Ainsi, les qualités et défauts mentionnés consacrent les stéréotypes de genre: les garçons sont forts, courageux, mais négligents et turbulents, tandis que les filles sont belles, sensibles, mais fragiles et superficielles. Idem pour les activités des parents: Papa bricole tandis que Maman cuisine. Mais, d’un point de vue strictement langagier, en quoi dire que Maman se trouve dans le jardin et y tond la pelouse et que Papa prépare à manger dans la cuisine complique l’apprentissage de la langue française?

La vision représentée et véhiculée par les manuels scolaires apparaît donc en décalage complet de la société, ne tenant pas compte de l’évolution sociale, culturelle, économique et politique et de ce qui est vécu actuellement par les hommes et les femmes. Or c’est cette représentation rétrograde que vont s’approprier les enfants, qui ne pourront ensuite que la reproduire puisqu’ils en auront fait leur modèle. Les manuels ont déjà pris en compte la diversité multiculturelle en veillant à mentionner des prénoms d’origine étrangère. Pourquoi alors persister à diffuser cet androcentrisme qui ne tient pas compte de la diversité multi-sexe?