Cela tient aux choix d’orientation scolaire et professionnelle, mais aussi au fait que les personnes exerçant ces métiers étiquetés féminins ou masculins ont du mal à inclure les représentants de l’autre sexe dans leurs rangs.

Certes, progressivement, les métiers réservés aux hommes et aux femmes se sont ouverts à l’autre sexe. Dans le cas des métiers masculins manuels, cette entrée des femmes a été possible par le biais de la mécanisation progressive de ces professions et de l’apparition de l’électronique. Les charges portées par les charpentiers ou maçons restent considérables, mais elles reposent et pèsent davantage sur des treuils que les épaules et le dos des travailleurs. Ces évolutions mécaniques n’avaient pas un objectif paritaire –il était question de revendications syndicales portant sur la santé des salariés–, mais elles ont contribué à ce que les femmes, qui ont statistiquement une masse musculaire et donc une force physique moins développée que celles des hommes, puissent davantage s’investir dans ces professions à l’origine masculine.

Quant aux métiers dits féminins, comme la profession de sage-femme ou tous les emplois dans le domaine de la petite enfance, on les a longtemps réservés aux femmes pour des raisons naturalisantes. Qui mieux qu’une femme pouvait en faire accoucher une autre? Qui mieux qu’une mère pouvait changer, comme si cela était inné, la couche d’un nourrisson? Mais la barrière légale a sauté et dorénavant les hommes peuvent aussi être «sages-femmes». En outre, en parallèle d’une augmentation de l’investissement du père dans l’éducation de l’enfant, ces professions se sont ouvertes au sexe masculin.

Toutefois ces pionniers ou pionnières qui font le choix d’exercer un métier peu ouvert à leur sexe ne sont pas toujours bien acceptés. Hommes ou femmes, leur difficulté commune est de ne pas pouvoir partager leurs expériences professionnelles avec des personnes du même sexe puisque l’autre sexe prend toute la place. Mais, suivant qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme qui opte pour un métier où les individus de son sexe sont statistiquement peu représentés, les résistances sont différentes et les difficultés engendrées divergent.

À l’inverse de l’enfance, où il est plus admis pour une fille d’avoir des activités de garçon, de grimper aux arbres ou de jouer avec un train électrique, tandis que les petits garçons, même lorsqu’ils le réclament, se font rarement offrir un poupon à Noël, il est plus facile pour un homme d’être accepté par ses collègues de travail dans un environnement féminin que pour une femme d’être investie de la confiance de ses collègues hommes.

Dans les métiers masculins, les femmes sont très mal reçues par leurs collègues. Et ce dès la formation. Les remarques sexistes, voire parfois des critiques qui tendent au harcèlement sexuel, pleuvent. Résultat: les jeunes femmes ont moins confiance en elles que leurs collègues masculins alors que tous en sont au même stade d’apprentissage du métier. Et elles sont plus nombreuses à interrompre la formation en cours de route et à se réorienter.

Ces réactions misogynes s’expliquent par le faible prestige social de ces professions. Dans ces métiers que l’on peut exercer sans avoir fait de longues études et où la considération de la profession repose sur la virilité, l’entrée de femmes est perçue comme une atteinte à la masculinité et donc à la réputation du métier dans son ensemble. Résultat: non seulement les collègues voient avec méfiance l’arrivée d’une femme dans leur entreprise, mais cette méfiance se manifeste aussi chez les supérieurs hiérarchiques voire les clients (certains n’iraient pour rien au monde confier leur voiture à une femme garagiste).

Et non seulement l’ambiance avec les confrères est tendue, mais les locaux ne sont pas souvent adaptés à la gent féminine. La clef de l’égalité se trouve être celle des toilettes. Car, sur les chantiers, pas de toilettes pour femmes, ni de vestiaires qui leur sont réservés. Il faut partager des bâtiments faits pour les hommes, ce qui les oblige à se changer ou se doucher chez elles et leur rend la vie plus difficile.

En revanche, les femmes acceptent plus volontiers que les hommes intègrent des métiers dits féminins. Notamment parce que leur profession gagne ainsi en prestige social. Mais les femmes peuvent aussi se montrer circonspectes, préjugeant que leurs collègues hommes sont moins compétents qu’elles, comme si les individus de sexe féminin étaient naturellement plus doués pour exercer ces métiers, où la qualité première serait l’instinct maternel. À noter que la résistance la plus extrême vient d’abord des amis masculins. Car dès qu’un homme souhaite exercer un métier réservé initialement aux femmes, on le soupçonne d’être homosexuel. Et les moqueries de suivre.

Pire, lorsqu’il s’agit de métiers dans le domaine de la petite enfance, on suspecte carrément le «pionnier» de pédophilie. «Pour quelle raison voudrait-il exercer un métier de nana, peu prestigieux, peu rémunéré, si ce n’est pour avoir accès aux petits enfants?» se demandent sous cape les gens. Cette défiance infondée, on la retrouve dans le discours des parents, qui ne souhaitent pas que ce soit un homme qui s’occupe de leur enfant à la crèche, où l’on laissera incidemment l’éducateur s’occuper du groupe des plus grands ou encadrer les activités en extérieur des enfants, ou dans des camps sportifs organisés, où ils n’inscriront pas leurs enfants si c’est un homme qui est en charge.