La volonté d’observer et de quantifier les différences hommes-femmes n’est pas nouvelle. Déjà, au XIXe siècle, des scientifiques ont voulu prouver qu’hommes et femmes ne se valaient pas – et ainsi justifier le peu de droits dont disposaient les femmes – en soulignant que les cerveaux féminins étaient plus légers et que la gent féminine était donc moins intelligente que la gent masculine. Ces résultats ne tenaient pas la route: il n’existe aucune corrélation entre l’intelligence et le poids ou le volume du cerveau.
Plus récemment, pour expliquer le fait que les hommes ont des capacités de repérage spatial plus élevées que les femmes et un «instinct» de compétition, tandis que les femmes font preuve de capacités langagières et fonctionnent plus par coopération, des chercheurs sont remontés à la préhistoire. Suivant ces psychologues évolutionnistes, c’est parce que l’homme préhistorique chassait le gibier pendant que la femme restait dans la grotte à s’occuper des enfants qu’au cours des siècles hommes et femmes ont développé, comme résultat de la sélection opérée par la nature, des comportements instinctifs différents. Les différences entre hommes et femmes s’inscriraient selon eux dans une évolution millénaire de l’être humain avant de s’inscrire dans nos gènes.
C’est dans cette veine que le couple de psychologues Allan et Barbara Pease a écrit les ouvrages Pourquoi les hommes veulent du sexe et les femmes de l’amour et Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières, ou que John Gray a rédigé Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus. Sous couvert de vulgarisation, ces ouvrages mettent en avant des thèses qui n’ont rien de scientifique: le mythe de l’homme chasseur et de la femme cueilleuse a été remis en question par les paléontologues dès les années 1980. Hommes et femmes avaient en fait des activités très semblables et, s’ils coopéraient pour chasser, ils étaient plus des charognards que des chasseurs.
Aujourd’hui, malgré les avancées de l’imagerie cérébrale, les neurosciences n’expliquent pas tout. Associer une zone du cerveau à chaque activité reste de l’ordre du fantasme – d’autant que, lors d’une seule activité, plusieurs zones peuvent être activées. Et si les techniques sont de plus en plus pointues et nous permettent de voir le cerveau en action, nous n’en sommes pas encore à admirer les connexions neuronales. Les neurosciences ne sont pas l’outil qui permet la mesure la plus fine qui soit.
Il faudrait d’ailleurs cesser de les percevoir comme en opposition à la psychologie, la philosophie ou la sociologie, disciplines qui seraient uniquement dans l’interprétation: il faut bien un médiateur pour lire les images du cerveau, les interpréter et émettre des hypothèses de cause à effet entre ce que faisait l’individu et la zone cérébrale activée. Il serait plus utile que ces différents domaines travaillent en coopération, à l’instar des neurobiologistes Catherine Vidal et Lise Eliot, pour expliquer comment jouer au football permet au cerveau d’un enfant d’être plus à même de faire un exercice de géométrie.
En outre, ces recherches dans le domaine des neurosciences sont souvent menées sur des animaux. Mais, après leur publication dans des revues scientifiques prestigieuses comme Science ou Nature, il est fréquent que les médias grand public amplifient les conclusions de ces études et les généralisent aux êtres humains. Ainsi, en 1999, une recherche menée sur des campagnols des prairies et des montagnes, les premiers étant monogames et les seconds polygames, a été proclamée comme la découverte du gène de l’infidélité.
Ce que l’étude révélait, c’est que ces campagnols présentaient des différences dans des zones du cerveau impliquées dans l’action d’une hormone, qui s’appelle la vasopressine, et qu’en injectant aux deux espèces de campagnols de la vasopressine on s’est aperçu que le mâle naturellement «volage» résistait à cette hormone et reniflait moins longtemps l’appareil génital de la femelle; le gène de la fidélité n’était qu’un récepteur de vasopressine chez les campagnols. Cette caisse de résonance médiatique s’explique par le contexte américain: en pleine affaire Lewinski, parler de l’existence d’un gène de la fidélité permettait d’exonérer le président Clinton.
Outre le contexte de publication, il s’agit aussi de se poser la question du financement et des collusions entre monde politique et recherche. Les recherches qui ont pour objectif de prouver l’influence de la génétique sur les différences entre hommes et femmes sont souvent financées par des partis conservateurs. Prouver une différence innée entre les sexes est intéressant lorsque l’on chercher à éviter de dépenser de l’argent pour des politiques d’égalité. Il ne faut donc pas oublier de questionner les motivations et le contexte de toutes ces recherches qui visent à démontrer que les différences entre hommes et femmes sont naturelles. Comme en leur temps les recherches sur les différences biologiques entre Noirs et Blancs avaient pour but de souligner la suprématie des seconds sur les premiers, leur visée est souvent d’attester de l’infériorité des femmes.